lundi 12 décembre 2011

Correction "rien comme prévu", c'est plutôt "rien de prévu", ou les méthodes de travail à la vietnamienne.

Aujourd'hui, le récit exclusif rien que pour vos beaux yeux intitulé "le jour où j'ai commencé à travailler dans la maison des fous", en référence aux douze travaux d'Astérix pour ceux qui connaissent.

J'ai passé une nuit assez exécrable, malgré la couette où je me suis enroulée j'ai dû remette un pull et des chaussettes pour pouvoir dormir. Je suis en train de tester le prétendu climatiseur "2 ways", il est sur 30 degrés et il me brasse surtout de l'air froid, là.

Bref. Je pars ce matin de chez moi. Je vis dangereusement, j'ai décidé d'y aller à pied pour voir. Je pars à 7h40. Je commence par longer sur 200m la route 4 voies, et il n'y a pas de trottoir (de toute façon, ici les trottoirs servent à garer des scooters ou à se remplir de micro-tables pour manger, pas à marcher dessus). Jusque là, tout va bien, le traffic d'enfer je me suis habituée. La consigne est de marcher lentement, de ne pas faire d'écarts, de ne pas s'arrêter d'un coup, les véhicules passent au large sans problème.
Le problème, le voilà justement: j'ai un énorme croisement entre deux des routes principales, 3 à 5 voies de chaque côté, que je dois traverser pour aller en face puis à gauche.
Là, me voilà un peu plus perplexe. Voire figée sur le bord du trottoir. Je sais que c'est possible, j'ai vu des gens le faire sans problèmes, mais entre le voir et le faire il y a un sacré pas à franchir! Une jeune femme m'aborde en anglais, me demande d'où je viens, où je vais, m'explique qu'elle bosse là à droite, et la voilà qui me prend par le coude comme une mémé pour me faire aller en face. Joie et bonheur. Mais après elle tourne et je dois traverser la deuxième partie toute seule. J'avance un peu pour être en face du portail de l'université, il vaut mieux éviter de traverser aux feux rouges en fait, c'est le meilleur  de se faire emplafonner (nan mais quand je vous dis que rien ne fonctionne comme chez nous...).
J'attends 5 bonnes minutes, histoire d'observer la circulation. Il y a des feux aux 2 bouts de l'avenue, mais pas synchronisés, sinon ce serait trop facile. J'attends que le flot de la circulation se tarisse de mon côté, j'inspire à fond, je me signe, je pleure ma mère et je fais un pas en avant, genre le saut de la foi dans Indiana Jones et la dernière croisade! J'avance. Doucement. Rythme lent mais régulier. Je traverse la première partie de la rue, quasi vide, et là j'arrive dans le flot. Je regarde du coin de l'oeil les voitures et les scooters qui arrivent à ma droite. J'avance toujours. Surtout on ne s'arrête pas! J'avance lentement, sûrement, à petits pas bien régulier. Les scooters et les voitures me contournent tranquillement, pas de freins brusques, pas d'écarts, juste ils passent autour.
Et pof, me voilà arrivée du bon côté en un seul morceau. Jamais je n'aurais pensé que traverser une rue pouvait se révéler si compliqué! Je retiens une petite danse de la joie histoire de ne pas traumatiser les gens qui me regardent. Oui, parce qu'ici, entre ma crinière et mon évidente allure d'occidentale, je détonne sacrément et les gens s'arrêtent souvent de parler pour me regarder en penchant la tête d'un air curieux. Quand on logeait à l'hôtel, on était encore dans un quartier touristique donc on nous regardait mais sans plus, sur le campus de l'université je me découvre un pouvoir de fascination incroyable. Voire un pouvoir hilarant (je ne sais pas pourquoi mais apparemment j'ai un potentiel humoristique que j'avais toujours sous-estimé, rien qu'avec ma figure je fais rire les gens.)

J'arrive enfin à mon bureau. Et là, mes petits amis, je m'en suis allée découvrir le mode de fonctionnement professionnel vietnamien, ou plutôt la non-organisation organisée du travail à la vietnamienne.
Déjà, j'arrive à  8h, il n'y a personne ou presque. Le prénommé Wuu me propose un thé que j'accepte, je découvre qu'il s'agit hélas d'un thé à la chinoise genre vert hyper amer, mais je n'ose le refuser et je le bois en cachant mes grimaces. Astrid, l'autre française qui bosse avec moi, arrive avec une demi-heure dans les dents, son xeom (taxi-moto) s'est perdu en route, c'est une manie. Ce qui en soit n'est pas grave puisqu'on est maintenant 4 sur les 15 de l'équipe.

A son arrivée le patron nous dit bonjour, il est très content mais il a une réunion et nous colle dans les pattes de Miss Thuu, pour qu'elle nous fasse faire le tour des lieux. Elle nous emmène dans le bâtiment d'en face nous présenter au grand big boss, qui n'est pas là non plus, ni la moitié du staff qui a disparu on ne sait où. On retourne dans notre bureau, le chef des designers est en réunion aussi, il s'occupe de nous à 11h. Bref, on passe 2h à regarder le plafond et à lire les panneaux au mur.

A 11h, on nous présente un super projet : ils vont construire un bâtiment tout en équitable avec matériaux et savoir-faire locaux, qui servira à la fois de bureau, des laboratoire et de showroom. On est plutôt contentes, ça fait enfin du concret à se mettre sous la dent, et ça a l'air assez enthousiasmant. A midi, on part manger, notre chef, M.Long, et notre chef designer, M.Phuong (on dit "foo"), nous emmène nous goinfrer de boeuf aux légumes et aux nouilles sautées, c'est pas mal du tout.

Quand on revient et qu'on commence à réunionner avec M.Phuong, ça vire au drame... Il nous fait un meeting avec un néerlandais, qui leur apprend à manager leurs projets (ce type mérite une auréole, je vous le dis), et un canadien qui fait du marketing. On s'aperçoit alors qu'en fait ce beau projet n'est pas du tout commencé, que personne ne sait où on va, qu'ils veulent commencer à compter combien de chaises il faudra alors qu'il n'y a même pas d'étude de marché ou de clientèle définie. C'est ce qu'on appelle chez nous "mettre la charrue avant les boeufs", ici ils sont carrément 800m derrière, les boeufs. Le néerlandais reste impassible devant ce foutoir, il explique calmement qu'il faudrait commencer par savoir à qui on va vendre quoi, puis par qui on va le faire produire avant de commencer à pinailler pour savoir si on prend des agrafeuses roses ou vertes.
A ce stade, je suis atterrée. C'est notre projet principal, il n'est pas question que je me lance dans les études de marché, ou de process, ou de n'importe quoi d'autre, moi je ne suis que graphiste et totalement incompétente pour le reste. Si je dois attendre que les autres aient fait cette partie, j'ai au moins 2 ou 3 moins à rien faire, et ça va pas être possible.
Après la réunion, je m'en ouvre à M.Long. Heureusement, il a un autre projet pour moi en attendant, un nouveau aussi pour lequel il va falloir effectuer toute la promotion depuis la création du logo à un site web en passant par les posters et autres PLV, me voilà sacrément rassurée! Je vais pouvoir m'en occuper d'ici à ce que les autres aient avancé sur le bâtiment et sa conception, ça va déjà me prendre pas mal de temps.

Ce qui est très bizarre avec nos collègues vietnamiens, c'est qu'ils sont pleins d'enthousiasme, ils ont 200 idées à la minute, ils ont toutes les compétences techniques, voire ils maîtrisent plus vite et mieux que nous les logiciels; le problème c'est que ça part dans tous les sens et qu'ils ont énormément de mal à organiser un processus quel qu'il soit. Le néerlandais qui essaie de leur apprendre "on commence par une étude de marché, on concentre nos besoins réels, on fait un planning, on cherche des partenaires financiers, on contacte les producteurs, on fait des prototypes, etc" doit se tirer des balles.
C'est très déstabilisant, pour être honnête, et c'est une école de patience à toute épreuve. Outre la barrière de la langue, bien que j'ai la chance qu'ils parlent tous assez bien anglais, c'est très difficile de mettre les choses à plat et on répète tout quinze fois pour être sûrs d'avoir bien compris.
Ce d'autant plus que les Vietnamiens ne vous diront jamais "non, j'ai rien compris" ou "non je ne suis pas d'accord", ils vont hocher la tête, et on se rend compte après coup qu'ils n'ont rien capté ou qu'ils ne sont pas d'accord. On nous en avait bien averti, car ils ne veulent pas offenser leur interlocuteur avec un "non" massif, considéré ici comme très impoli voire insultant, mais à vivre c'est assez déroutant.

Pour nous remettre de nos émotions, avec Astrid on est allé faire un tour dans le parc en sortant, on s'est posé au bord du lac avec une petite bière (moins d'un euro, vous pouvez pleurer), et ça nous a bien détendues de pouvoir caqueter toutes les deux de notre ressenti. Après je suis rentrée chez moi et là rigolade : il a fallu traverser de nouveau la grosse route. De nuit...
Bon en fait ça se fait. Je pense que je finirai peut-être même par m'habituer (ou pas). Heureusement j'ai un manteau rouge bien flash, ils ne risquent pas de ne pas me voir. Pis en plus si on me rentre dedans, c'est le rentreur-dedans qui est en tort automatiquement (bon ok ça me fait une belle jambe)!

Enfin voilà. Là j'attends mes colocataires pour manger, il fait un froid de gueux dans la maison qui est isolée comme une passoire, et le chauffage ne souffle que de l'air froid depuis le temps que j'ai commencé à vous raconter ma journée. Je sens venir une nouvelle séance très très laborieuse avec le proprio, qui commence sérieusement à me courir sur le haricot. Autant certains vietnamiens sont d'une gentillesse à tout épreuve, autant lui me fait l'impression d'être parmi ceux pour qui les étrangers sont forcément des abrutis à tondre autant que possible... Je commence à me demander aussi s'il parle vraiment mal anglais ou s'il fait exprès de bafouiller pour embrouiller les choses. S'il le faut, je vais faire venir la stagiaire vietnamienne de Batik parce que je passe pas l'hiver sans chauffage du tout (oui je sais, je suis une sale décadente occidentale chochotte). Je vous dirais comme ça tourne, pas au vinaigre j'espère...

A bientôt tous pour de nouvelles aventures!















2 commentaires:

  1. Ce qui est intéressant c'est que c'est la même chose en Chine (du peu que j'en ai vu) et, étonnamment, au Maroc ! Surtout le "oui c'est par là" avec un grand sourire, alors que le type n'a aucune idée d'où c'est, tout ça pour ne pas dire "non". Et l'organisation évidemment. Autant dire que ça entraîne des situations intéressantes de type : "Vous seriez disponible dans la semaine ?" "Oui oui !" "Très bien, quand cela vous arrangerait-il le plus ?" "Quand vous voulez !" "Bon, disons alors mercredi 16h à votre bureau ?" "Parfait ! A mercredi !" Alors que le type est en vacances toute la semaine en fait.

    Bonne chance du coup, ce n'est pas facile de s'y habituer =P

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  2. L'aventure commence à donf ! Attention, chère filleule, comme disent nos amis les paras (militaires en treillis cam surmonté d'une capsule rouge, équipé d'1 gros muscle dans la tête et de 2 cerveaux, un dans chaque bras): il faut ETRE et DURER !
    Tu as l'air bien occupée au plan prof. comme logistique, intendance et ... culturel. La clé du stage, c'est le rens population.
    On pense à toi avec admiration et presque envie. Tu as la chance de découvrir cette terre qui a tant fasciné les grands anciens de ton père et moi.
    On te souhaite un joyeux Noël, nos prières et chants t'accompagneront, toi qui es au pays des mages d'Orient.
    Affections du parrain et pleins de gros bisous de la Troïka.
    NB = Marie est sur Facebook, si tu peux l'y joindre et lui envoyer ton blog, ce serait super

    Xavier

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