lundi 30 janvier 2012

Mai Chau, premier jour


Le lendemain du Têt, soit le mardi 24 janvier, nous sommes partis sur le coup de 9h30 avec nos voisins pour Mai Chau.

Pour vous situer un peu, je vous présente nos voisins. Maurice a 65 ans environ, il est français, ancien de l'aviation civile, officiellement à la retraite mais adorant organiser des voyages avec son associé vietnamien, atteint de bougeotte à travers le monde entier. Il est marié depuis 6 ans avec Hang, une charmante vietnamienne dont il a adopté le fils, Xiuan. Ce sont nos voisins de gauche, ils nous ont adopté ou presque nous aussi dès notre arrivée: trois jours après notre emménagement ils nous proposaient déjà de nous emmener avec eux pour ces petites vacances à Mai Chau.

Mai Chau, c'est dans la province d'Hoa Bihn, sur la route coloniale qui menait à Dien Bien Phû. Bourgade de 500 habitants, ça ne présente pas en soit un intérêt délirant, mais les villages environnants et la région sont peuplés par les ethnies Hmong et Thaï, dans de très beaux paysages.

Nous voilà donc dans notre minibus, partis pour 130 km soit 3h de route, ce qui vous laisse imaginer un trajet cocasse. Ladite route n'était pas dans un état trop lamentable, mais on ne roule jamais vite à cause des innombrables scooters, bus fous, vaches, et autres obstacles. De plus, il a fallu passer un col montagneux dans un purée de poix incroyable. On roulait à 15km/h, en n'y voyant pas à 2m, ce qui a eu le mérite de réduire les sauts périlleux qu'on faisait dans la voiture (et encore moi j'étais devant, je n'ai pas subi 1/3 des secousses que les autres ont eu derrière, cramponnés avec les dents dans leur banquette farceuse). Maurice était un peu déçu pour le panorama, mais surprise, en descendant du col, ça s'est éclairci d'un coup, et là on a eu un paysage très sympathique, d'autant plus apprécié qu'on pensait être noyé dans un brouillard effarant tout le trajet.

Les montagnes couvertes de forêt primitive où personne ne met les pieds, les maisons colorées de la ville et les mosaïques de rizières : bienvenue à Mai Chau!
Notre fine équipe d'explorateurs : en haut Xavier, Emmanuelle, Joachim, en bas Xiuan, Hang, Manon et Maurice, plus votre humble correspondante.
Après notre petite pause panoramique, on descend avec le minibus jusque dans la vallée où il faisait agréablement plus doux que de l'autre côté du col. On traverse Mai Chau, qui ressemble un peu à une ville morte : ici beaucoup plus qu'à Hanoï, les effets désertiques du Têt se font ressentir. Déjà sur la route presque tous les magasins étaient fermés dans les bourgades traversées, et il y avait peu de monde sur la route. Maï Chau en soit n'a aucun intérêt, disons-le, sauf quand on en sort pour atteindre notre village à nous.

Et là, le coup de foudre, on sort en piaillant de la voiture des "hooooo", "haaaaa", "haaaaaaan", et "c'est booooooooo". Toutes les maisons sont construites en bois ; on les pose sur des dalles de ciment (autrefois de brique), on bâtit une structure sur pilotis, et on termine avec un toit en tuiles de bois vernissé ou en feuilles de bananier. Nous logeons chez Madame Chung, qui a aménagé sa maison pour recevoir des visiteurs dans un cadre authentique (la seule concession au tourisme est la présence d'une pseudo salle de bain, soit un cagibi avec des toilettes et une douche).

Voilà, la maison sur pilotis vue de profil au-dessus du petit plan d'eau, avec les palmiers, les nénuphars rose, c'est-y pas mignon tout ça? 
Notre maison vue de l'intérieur, tout en bois, des nattes d'osier tressé au sol, matelas avec une tonne de couettes et moustiquaires: le grand confort. 
La vue depuis nos fenêtres. De voir l'horizon à nouveau après l'encombrement urbain d'Hanoï : que du bonheur... 


A l'arrivée, Madame Chung nous sert une bonne plâtrée de nouilles sautées au poulet et aux petits légumes, histoire de nous remettre du trajet et de nous caler le ventre pour l'après-midi. Bien revitalisés, on décide de louer des vélos et de partir à l'aventure en suivant une piste qui fait le tour d'un petit monticule au milieu des rizières. Les dits vélos étaient cocasses (ma selle n'arrêtait pas de se barrer en arrière et il fallait sauter dessus à pied joint pour la remettre), et qui plus est au bout de 1 minute en sortant du village il a fallu traverser un petit ruisseau praticable uniquement à pied (on avait pas franchement des VTT), d'où le fait qu'on s'est retrouvé avec les pieds trempés et gelés pour tout le reste de l'après-midi, soit trois heures de ballade environ. Mais ça a été formidable quand même!

On a roulé au milieu des rizières, qui ne sont pas encore repiquées pour le moment ; les plants de riz attendent sagement un temps plus clément sous des baches. Ca faisait une mosaïque pas encore resplendissante de verdure, mais déjà très jolie à regarder.
On a traversé des villages de maisons sur pilotis bien plus anciennes que la nôtre, où les gamins et même les adultes nous faisaient de grands coucous en criant "Helloooo! Happy New Yeaaaaaar!", où les poules et les chiens venaient nous renifler le mollet d'un air curieux. Il y a des tonnes de petits chiens, des espèces de bâtards sable et noir, qui ont vraiment des bonnes têtes, et qui se dressent en sentinelle dès qu'on passe. Il y en avait un qui n'a pas bougé d'un centimètre, étalé au milieu de la route;  à chaque fois qu'on est passé il ouvrait vaguement un oeil sans bouger d'un poil (on aurait dit le mexicain dans Lucky Lucke, qui dort au milieu de la voie ferrée et qui râle parce que ce satané train le dérange une fois par semaine pendant la sieste).
On est passé devant des maisons sous lesquelles étaient installées des tables de billard, et au-dessus dans les arbres et la charpente il y avait des tas de cages à oiseaux. Ca jouait donc au billard au son de chants de petits mandarins et rossignols, entrecoupé des rires et cris d'enthousiasme du jeu.
On s'est arrêté devant une "maison de la culture du peuple", où les habitants du village jouaient de la musique sur un tambour et deux sortes de cymbales ; en moins de 5 minutes ils nous ont proposé d'essayer, nous ont entraîné dans une ronde en chantant, et ça s'est terminé en grands éclats de rire. Il y a ici une spontanéité et un accueil absolument incroyables, et on sent que les gens ont juste envie d'être gentils, de partager cinq minutes de rire ensemble même si on n'a pas de langage en commun.
On a traversé des petites rivières sur un pont en bambou et en bois, accompagnés par les vaches qui passaient en même temps que nous, au son des cloches en bambou qu'elles ont au cou.
On est revenu par le petit village tout proche du nôtre, plus touristique, où les filles des minorités exposent un tas d'objets, de vêtements, d'écharpes, etc, qu'elles tissent elles-mêmes à longueur de journée. Chaque maison a son métier à tisser, sur lequel on confectionne toutes sortes d'étoffe. (Là, c'est la partie où j'ai poussé des petits piaillements en courant partout avec un air hystérique parce que je voulais tout acheter, mais Hang m'a convaincue de retourner poser le vélo et prendre un goûter chez Mme Chung, et qu'on reviendrait après).

Le paysage est d'une luxuriance et d'un vert incroyable, et encore, "là il a fait un peu sec ces derniers temps, par rapport à d'habitude, c'est assez étonnant". 

Au loin, des petits villages aux maisons de bois et de chaume, calées entre les rizières et les collines couvertes de forêt.

... lesquelles forêt ne sont pas forcément constituées d'arbres, mais aussi et surtout de bambous immenses, qui faisaient entre 6 et 10 mètre de haut. 












Je voulais emmener les deux petits chiens, mais Manon a dit qu'on les mangerait au bout des six mois à Hanoï pour ne pas se fendre le coeur en les abandonnant sur place, alors finalement non... 




De façon assez étonnante, partout on trouve des drapeaux vietnamiens,  ainsi que le drapeau du Parti avec faucille et marteau, même dans les villages les plus reculés. C'est moins étonnant finalement quand on sait que c'est une obligation de le mettre devant toutes les maisons et bâtiments. 

Pour le goûter on a eu une séance assez cocasse. On buvait un thé en mâchonnant des gâteaux, Hang faisant office de mère nourricière ; elle a toujours dans son sac des bonbons, des fruits, des trucs à grignoter, des fois qu'on meurt de faim en route. On regardait faire la mère de Mme Chung, soit une vieille dame de 60 ans environ, toute maigre, enturbannée d'un beau foulard bleu, les lèvres rougies et les dents noircies par le bétel qu'elle a dû chiquer toute sa vie, comme beaucoup de femmes des ethnies Hmongs. Bref, cette dame cueillait des caramboles dans un arbre de la cour, à l'aide d'une bouteille coupée en deux enfilée sur un manche à balai (ici ce sont les rois de la débrouille). Quand elle a vu que ça nous plaisait bien comme fruit, ni une ni deux, la voilà qui vire ses chaussures et hop! Elle grimpe dans l'arbre comme un petit singe, montant à 2m de hauteur à une vitesse et une agilité stupéfiante pour une femme de son âge, et elle nous jetait des fruits qu'elle cueillait en riant bien vu nos airs ahuris en bas!



Après cet interlude, je suis repartie au village voisin pour faire un peu d'emplettes, accompagnée de Hang. Hang est la reine de la négociation, elle maîtrise ça parfaitement, on voit qu'elle est vietnamienne et qu'elle a fait ça toute sa vie.
Démonstration.
On regarde une écharpe qui me plaît. Déjà Hang me dit qu'elle va faire croire que c'est pour elle, sinon la vendeuse ne voudra jamais baisser le prix (ici il y a toujours un prix pour les Vietnamiens, et un pour les étrangers, c'est comme ça, il faut s'y faire. Quand Hang fait les courses avec Maurice, si elle veut acheter un truc, elle l'expédie quelques mètres derrière pour qu'on les voit pas ensemble et qu'elle puisse avoir des prix convenables).
Hang demande combien ça coûte. La vendeuse répond 80.000 dongs. Hang fait la fine bouche. Elle retourne le truc avec un air dubitatif, me consulte, je fais la moue aussi, on ne prend pas l'air trop enthousiaste. Hang propose 40.000. La vendeuse refuse, secoue la tête, argumente tout un tas de choses auxquelles je ne comprends rien mais vantant sûrement sa marchandise. Hang finit par lâcher que bon d'accord pour y mettre 50.000 mais pas plus. La vendeuse dit non. Avec un petit soupir, Hang se détourne, et on commence à s'éloigner en haussant les épaules.
On fait très exactement trois pas, et là on entend piailler la vendeuse qui rappelle "Chi Hoïïï!". On se retourne, elle est d'accord pour 50.000. On se regarde, on se frotte le menton d'un air dubitatif... Finalement dans sa grande bonté, Hang accepte de payer ce prix qu'elle s'était fixée depuis le début. La vendeuse emballe le truc, nous le tend avec un grand sourire et rigole avec Hang: 50.000 était le bon prix, définitivement...
Des fois on passait même de la tenture à 400.000 qu'elle faisait baisser à 250.000, elle est redoutable. Du coup ça a été un peu le gros craquage, je suis repartie avec 5 ou 6 écharpes et étoles, 3 tentures pour ma chambre, plus une jupe brodée que je n'oserai jamais porter ici mais qui sera sûrement très sympa à mettre rentrée à Paris.


J'ai essayé la tenue traditionnelle locale pour tester.  Très mignonne, que j'étais, le problème étant que si je levais les bras je faisais craquer toutes les coutures (y a qu'à voir la taille de la vendeuse qui était montée sur un petit escabeau à côté de moi, on a pas le même gabarit, les vietnamiennes et moi...)

Lâchée dans trop de choix, la Clémence à l'état naturel se met à baver  vaguement en meuglant "Gnuuuuu je veux touuuuuuut!". Toutes ces couleurs, ces broderies, ces étoffes, ça rend fou. Pour information, j'ai acheté une jupe bleue, comme celle que je suis en train de lorgner sur la photo. 


(Dieu du ciel, on est lundi matin, 9h30 à l'heure où j'écris, et mes collègues sont encore en train de fêter la nouvelle année du dragon, en faisant tourner un verre de brandy dans lequel tout le monde doit boire pour porter chance à la compagnie. Laissez-moi vous dire que le brandy à 9h30 l'estomac vide, c'est révoltant... En revanche, ils m'ont tous offert très gentiment les traditionnelles petites enveloppes rouges et or dans lesquelles on glisse un petit billet, pour apporter chance, prospérité, santé et bonheur pour la nouvelle année!).

Bref, je reprends mon récit. Au dîner, on nous a gavé de très bonnes choses, encore plus que le midi, les plats n'arrêtaient pas d'arriver sur la table au fur et à mesure, on aurait pu croire que ça ne s'arrêterait jamais. Disons-le, pendant le séjour on a été très bien nourri, de nouilles sautées, de poisson cuit à l'étouffé dans un tube de bambou, de nems à tomber par terre, d'espèce de boulettes de viande épicées enroulées dans une feuille, de soupes de légume délicieuses, et le matin on avait des "crêpes" de pâte à beignet avec des petites bananes dedans (rien que d'y repenser j'en ai l'eau à la bouche).

Après le dîner, spectacle! Bah oui Maurice nous a préparé un programme très complet, figurez-vous, même s'il était un peu déçu parce qu'il n'y avait pas autant de musiciens et de danseurs que d'habitude, pour cause de fêtes du Têt en cours. Moi j'ai trouvé ça très bien quand même, il y avait malgré la pénurie une dizaine de personnes, on avait le spectacle rien que pour nous, et c'était assez entraînant. Au programme, des danses et des chants traditionnels, sur fond de musique parfois un peu moins traditionnelle (un jour faites-moi penser à vous pondre un article sur la musique au Vietnam, ça manquera à votre culture sinon).
D'ailleurs j'ai oublié de vous préciser que tout au long de notre séjour, on avait toujours en fond sonore un karaoké, même dans les villages reculés, parce qu'à la campagne on a pas beaucoup d'autres distractions, il en font tous pour le Têt, et que le son porte très très loin dans les rizières, ô joie et bonheur!






Ca s'est terminé en danse pour tout le monde, où on a fait une espèce de ronde, il fallait tourner dans un sens, dans l'autre, taper sur l'épaule droite puis gauche du voisin, changer de sens, etc (autant vous dire qu'on avait pas autant de fluidité que les danseuses). Pour finir, on nous a invité à goûter la boisson locale, soit une espèce de jarre d'où émergent des pailles en bambou ; au fond, un mélange dont nous ne connaissons toujours pas la composition, on y verse de l'eau, ça se transforme directement en alcool, et on peut le recharger tant qu'on veut dans la soirée. Le principe est cocasse, le goût ne m'a pas conquise, mais ça nous a occupé toute la soirée sur le thème "mais qu'est-ce qu'il y a au fond, bon sang?". Très honnêtement, comme d'habitude, je pense qu'on préfère ne pas savoir, en fait...

Une première journée bien remplie, au final, on est allé se coucher tôt. D'abord parce que passé 22h, tout le village dort, et qu'en plus on se levait tôt le lendemain pour une autre excursion. Mais avant d'aller au lit, on a fait une petite séance hilare d'aérobic avec Hang. A Hanoï, elle se lève tous les matins pour aller au parc à 6h30 faire sa séance de sport (cette femme est folle, et beaucoup d'autres vietnamiens aussi sur ce plan là). Ca a eu le mérite de bien nous faire rire, et de nous réchauffer un peu avant d'aller au lit. Oui parce qu'évidemment, le chauffage, même pas en rêve. Déjà il y a des vraies toilettes, faudrait voir à pas trop en demander... Mais une fois enfouis sous une montagne de couettes, on a tout à fait bien dormi comme des gros makis japonais sous moustiquaire.

La suite dans un autre article, celui-ci étant déjà bien fourni ^^

2 commentaires:

  1. Que vois-je? Toi aussi tu t'es déguisé en maki pour dormir? \o/

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  2. C'est à dire que lorsqu'il fait 10 la journée, 6 la nuit, et que tu es dans une maison en bois sans chauffage, oui, tu fais un maki géant de couettes avec toi-même en garniture!

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